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Yves Perrousseaux

 

[Janvier 2002]
Yves Perrousseaux, un pédagogue
et un propagandiste de la typographie

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Pourquoi la typographie, plutôt que la mise en page ou bien le graphisme en général ?

LureMa passion, c’est avant tout la typographie et son histoire, celle des écritures, l’utilisation de caractères typographiques en fonction des sujets à traiter. C’est aux Rencontres internationales de Lure que j’ai attrapé ce virus. J’ai plutôt une âme d’historien et pas du tout celle d’un créateur d’avant garde, vous savez ceux qui font les modes ! Si je comprends des créations de caractères comme ceux de Pierre di Sciullo ou de Zuzana Licko chez Emigre, je n’ai aucune envie de les utiliser, de la même façon que n’aimant pas la viande crue ou à peine cuite, je n’empêche personne de se régaler d’un steak tartare. C’est vrai que ma prédilection va aux caractères récents s’inspirant des formes des siècles passés. L’utilisation des caractères d’Éric de Berranger, de Xavier Dupré, de Jean-François Porchez, de Ladislas Mandel, par exemple, est pour moi une source de grande joie, mais c’est sûr qu’ils ne conviennent pas particulièrement à l’expression visuelle d’une manifestation de trial ou d’un concert de hard rock. Mais il y a bien d’autres sujets à traiter que ceux-là.

De fait, je ne suis pas un « créateur » graphique avec des états d’âme d’« artiste ». Je n’ai pas vraiment envie de réaliser des créations comme on en montre dans les revues de graphisme. Ce qui m’intéresse avant tout c’est de transmettre des informations et des connaissances typographiques le plus clairement possible et au plus grand nombre, pas aux élites professionnelles qui les connaissent déjà. Je suis bien dans ma peau de typographe, d’utilisateur de caractères. Quand j’ai trouvé une mise en page claire, nette, qui remplit son rôle de confort de lecture, j’essaie de la reproduire dans d’autres configurations similaires et non pas de me casser la tête à inventer une autre mise en page pour « ne pas faire deux fois la même chose ».

Et comme « qui se ressemble s’assemble », ce n’est pas par hasard que des Gérard Blanchard, Ladislas Mandel, Adrian Frutiger, René Ponot m’aient demandé de publier leurs ouvrages. Ce sont des bouquins de typo, pas de graphisme. C’est ça qui me plaît avant tout.

En quoi l’informatique a-t-elle révolutionné la typographie ?

Je ne pense pas qu’elle ait révolutionné grand-chose. Le fond du problème reste toujours le même : c’est l’outil qui a changé, pas le métier. Quoique.
L’outil informatique, c’est beaucoup plus pratique : quelle convivialité de travail, quelle rapidité, quelle précision ! C’est vrai que l’on peut réaliser des choses beaucoup plus précises et des « jeux typographiques » (en jouant sur l’interlettrage, l’interlignage, les flous, les superpositions, etc.) que les contraintes techniques du plomb ne permettaient pas.

On peut même tricher avec les règles ancestrales. Comme je suis pragmatique et pas du tout « fondamentaliste » (il y a des graphistes qui vivent avec un pied à coulisse à la main pour tout mesurer au poil près), je ne vois aucune raison à ne pas profiter de ce que l’ordinateur rend possible. La typographie, c’est avant tout, pour moi en tout cas, un résultat visuel global qui demande parfois une succession de petites tricheries par rapport aux règles de base (mais observez de près un livre de la Renaissance, vous y trouverez également plein de petites tricheries). Par exemple, dans un texte en colonne, dans un corps et une justification donnés, parfois les coupures en fin de lignes et le gris typographique tombent parfaitement bien, et parfois parfaitement mal. Il suffit alors de modifier à peine (1 mm parfois) la justification pour que le texte s’écoule bien. Optiquement, le lecteur ne voit rien. Le puriste (ou le masochiste ?) me dira que « c’est défendu ». Par qui ? Pourquoi ? Entre choisir entre un gris typographique pas très joli et une justification modifiée (mais très légèrement, évidemment), je préfère cette seconde façon.

En même temps, tu connais tous les grands typographes « historiques » encore en vie, Adrian Frutiger en particulier…

FrutigerNon pas tous, loin de là. Il se trouve qu’Adrian Frutiger me connaissait par mes livres. Quand j’ai reçu une lettre de Suisse signée de lui, j’ai d’abord cru à la blague d’un copain. Il me demandait si je voulais être son éditeur pour le français. Nous avons fait connaissance et avons tout de suite sympathisé. C’est un homme très simple, dans le bon sens du terme, pas du tout un prétentieux. Son ouverture d’esprit, sa culture typographique sont étonnantes. On est loin d’un certain fanatisme de typographie suisse internationale, qui n’est qu’un style graphique parmi les autres et dont l’arrogance s’est quand même un peu calmée. Travailler avec Adrian est agréable et nous nous comprenons bien. Il me considère un peu comme un jeune frère.


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